Propre comme un sou neuf, le forgeron descend les escaliers tranquillement, simplement vêtu d'un pantalon de toile et sa chemise à la main. Ses boucles sombres striées de blanc gouttent d'eau sur son torse où se balance une chaîne bien plus longue qu'à l'origine. Au bout, un simple anneau.

La tension palpable de la pièce lui fait lever un sourcil.

Il y a un problème ?

Un peu bourru, comme peuvent l'être les ours à la sortie de leur hibernation. Et tendu, attentif à la menace qui se balade au milieu d'une pièce hérissée de bout de machin qui font très mal.

Certainement pas, dit-il brusquement.

Regardant l'allumette de travers comme s'il lui avait proposé de manger un chaton, il s'en écarte rapidement en enfilant sa chemise. Il regarde son colocataire, puis son client en se grattant la barbe, visiblement dérangé par l'idée. Il chasse un frisson désagréable en s'ébrouant avant de se diriger vers son collègue.

T'es sûr de toi ? demande-t-il, visiblement pas spécialement emballé lui-même.

Les bras croisés, il fait un geste discret de la tête pour désigner le vampire.

Son premier réflexe est d'empoigner le vampire pour le jeter au plus loin de sa force de son fiancé.

Si tu t'en prend à lui, je te bute, articule-t-il en pointant un doigt menaçant sur le vampire.

Puis vient le doute, déchirant, qui le fait regarder alternativement celui qu'ils arment pour tuer leurs semblables et l'entrée de la Forge.

Quatre, trois, deux,...

La peur au ventre, le forgeron se jette sur la porte - et la sortie vers les innocents - pour la barrer d'un meuble qu'il déplace sans mal.

Quand il se retourne, il est prêt à affronter la créature qu'il a engendré.

Le forgeron se fige quand la créature s'intéresse à lui, prêt à défendre sa vie... et tombe des nues à sa « salutation ». Bloqué dans l'incertitude face à son attitude envers lui, il reste là, avec son air stupéfait.

Le pleur le fait sursauter d'horreur et il réagit d'instinct, sans prendre une seule seconde pour réfléchir.

ARON !

Un blanc… Avant de pointer le sol devant lui.

Au pied, ordonne-t-il d'une autorité un peu bancale.

Entre le vampire accroché à son bras et la créature qui lui saute dessus, le forgeron doit faire son choix en une fraction de seconde.

D'un violent mouvement du membre parasité, il rejette le vampire en arrière, contre le meuble qui les sépare de la porte. C'est solide ces bêtes là et il n'a pas le temps de se demander si sa force nouvelle - et pas franchement maîtrisée - va l'assommer ou non. Presque dans le même geste, il se jette sur la créature pour l'empêcher de s'en prendre à ce client de plus en plus encombrant.

Calme toi, Aron ! beugle-t-il à l'oreille de la créature.

Tant bien que mal, il tente de la plaquer au sol, si possible en lui attrapant les pattes au passage.

Ferme-la, grogne-t-il à l'encontre du vampire.

C'est qu'il commence à sérieusement lui courrir sur le haricot, l'autre imbécile. A quatre pattes au-dessus de la créature, le forgeron a les doigts qui s'enfoncent dans le sol de la forge de frustration. Tendu comme un arc prêt à céder, il peut sentir la sienne se déchaîner en lui pour sortir et rejoindre son fiancé sans y parvenir.

Le souffle malmené par leur lutte, le forgeron reprend peu à peu contenance. Alerte à la moindre tentative de mouvement, il se risque à lever une main vers la tête de la créature.

Aron... ?

Il déglutit, sa main tremblant légèrement d'appréhension.

C'est fini, Aron. Reviens...

Avec la plus grande prudence, il pose sa main sur la fourrure sombre.

La colère du vampire semble lui passer à quinze kilomètres au-dessus de la tête tandis qu'il est focalisé sur la chose qu'est son fiancé. Et le patpat qu'il vient de reproduire sur sa tête. La scène surréaliste le déboussole et il doit faire un effort pour garder contenance.

« On ne mange pas les gens » articule-t-il lentement avec un air sévère bancal.

Il se risque à le relâcher, les mains de chaque côté du corps macabre, prêt à le rattraper au moindre mouvement suspect.

Mouliner des bras dans le vide ne l'aide pas à rattraper la grosse bête qui se jette sur la porte et il ne peut rien faire d'autre que le regarder s'élancer dans la nature, horrifié. Il ne lui faut que quelques secondes pour décider la marche à suivre durant lesquelles ses pas le mènent vers le trou béant que fut leur porte d'entrée.

« Garde la forge ! » gueule-t-il à l'intention du vampire dont il se fiche bien de sa nouvelle sensibilité au soleil.

Ni une ni deux, il se jette à la poursuite de la bête, dans l'espoir de l'empêcher de manger qui que ce soit.