Ça pue la mort. Peu importe où il pose les yeux, la rue est jonchée de sang et de cadavre. Sur le chemin de Conquête, d'innombrables victimes ont été abattues ou crucifiées, clouées aux murs qui ne sont pas tombés sous la folie générale. La Forge ne fait pas exception.

Le forgeron est épuisé. La nuit précédente a été un véritable cauchemar, irréel et pourtant bien trop vif dans ses souvenirs. Les vêtements tâchés, les traits tirés, les poings abîmés et les muscles douloureux, il doit lutter pour ne pas s'effondrer.

Et pourtant, il continue. Inlassablement, il entasse les corps avant qu'ils soient brûlés. Ou enterrés dignement pour ceux qui ont de la chance. Puis vient le tour des crucifiés.

Perché sur un tabouret, il gronde sous l'effort pour retirer un clou bien trop enfoncé. Après un deuxième échec, il frappe le mur de frustration en marmonnant une belle série de jurons fleuris. Et il essaie encore.

Le maudit pied de biche à la main, le forgeron regarde l'autre s'éloigner jusqu'à disparaître. Sans un mot. Pendant quelques instants, il reste immobile, le regard fixé sur le vide qu'il laisse derrière lui.

Un clou cède, puis un autre. Il les retire un à un jusqu'à réceptionner le corps sans vie sur son épaule. Le pauvre malheureux rejoint les autres en attendant que les fossoyeurs viennent les collecter. Il y en a d'autre, mais le forgeron a mieux à faire.

Son pied de biche en main, il pénètre dans la forge pour rejoindre l'autre abîmé. Lorsqu'il le trouve, il s'appuie d'une épaule contre le mur avec un long soupir. La voix rauque de fatigue, il pose les yeux sur son corps et ses multiples ecchymoses.

Tu devrais te reposer. T'es dans un sale état.

Dit-il avec ses propres bleus et diverses blessures recouvrant son corps.

Choc, joie, douleur, peine. Autant d'émotions qui se succèdent et se mélangent sur le visage du forgeron. L'espace d'un instant, il ne peut que regarder cette main qui a des airs de salvation qu'il ne pense pas mériter. Qu'il sait ne pas mériter. Le poids de la culpabilité écrase ses épaules et tire encore plus ses traits, tend ses muscles douloureux.

Ses mains meurtries des coups qu'il a donné toute la nuit s'emparent de celle offerte avec la plus grande douceur. Incapable d'affronter son regard, il le garde baissé.

Aron, tu dois savoir…

A peine un murmure, la voix serrée par l'émotion qui menace de l'engloutir, le cœur battant comme un fou. Un souffle tremblant passe ses lèvres, sans pouvoir charier le moindre son. Plus il cherche ses mots et plus il s'enfonce dans ses émotions qui le pousse à chaque instant plus près du désespoir.

Il ferme les yeux, secoue la tête. A l'instant où il tente à nouveau de parler, une douleur indicible parcourt son corps, tirant sur chaque fibre de son être. La stupeur fige la panique qui l'envahit sur son visage alors qu'il s'effondre. Un genou à terre, une main l'empêche de tomber tandis que l'autre refuse de lâcher la main de son presque fiancé.

Le forgeron lève un regard terrifié vers l'homme qu'il ne semble plus voir, l'azur de ses yeux disparaissant jusqu'à devenir intégralement noirs. Ses ongles se changent en griffes acérées et il lâche précipitamment Aron, rampant pour s'en éloigner. Dans un cri de douleur, son corps prend en masse et se déforme, déchirant ce qu'il restait de ses vêtements tandis que sa peau se couvre de fourrure.

Lentement, sa conscience se délite.
La malédiction prend corps.

Le forgeron hurle, se tord et se débat, ses mains griffues lacérant le sol comme son propre corps dans un combat illusoire où il est son propre adversaire. Alors qu'une queue se forme au bas de son dos horriblement allongé, il pousse un ultime cri déchirant et se recroqueville sur lui-même. L'humain a cédé sous la conscience de la bête et la transformation s'accélère.

Bientôt, il n'est plus qu'une énorme masse de muscles couverte de fourrure, dissimulée sous une longue queue à poil longs. Des gémissements continuent à s'échapper de la créature, jusqu'à ce que la douleur reflue et laisse place à une profonde respiration.

Alors, la queue glisse sur son corps, une patte semblable à une serre s'abat sur le sol et lui donne un premier appui. Lentement, la créature se déplie pour révéler une gueule osseuse aux crocs acérés d'où part une longue crinière et un corps musculeux bien que fin.

Elle s'ébroue, cherche son équilibre un instant et renifle l'air. Sa respiration est sonore, comme si elle se faisait écho dans un corps creux. Son regard abyssal se pose sur son environnement, jusqu'à se poser sur l'homme face à lui.

Sa tête s'abaisse, ses pattes fléchissent. Avec un grondement caverneux, une longue langue sort de sa gueule osseuse et passe sur ses crocs. La queue battante, elle est prête à bondir.

Deux-pattes.
Sang.
Déchirer.
Mordre.

La créature se prend le pied de biche dans les pattes, déviant son saut. Ses puissantes mâchoires claquent à l'oreille de sa proie alors que son poitrail la heurte de plein fouet. La bête l'emporte dans sa chute, les projetant tous deux à terre. Elle roule lourdement avant de se redresser avec une agilité impressionnante et un gémissement de douleur.

Ramassée sur elle-même, elle gronde sourdement, sa longue langue léchant la brûlure sur la peau de ses pattes. Son regard sans fond se pose sur l'objet maudit et elle grogne de plus belle, sa mâchoire monstrueuse claquant dans sa direction.

La créature bouge la tête par mouvement vifs et saccadés. A droite, à gauche, en haut. Basse sur ses appuis, elle recule… Et bondit. Haut, loin, elle tente un passage au-dessus de la tête de l'homme pour mieux se retourner et repartir pour un nouvel assaut.

Fer.
Brûle.
Colère.
Tuer.

La bête couine de douleur et se recule vivement, la tête basse avant de poser une patte sur la brûlure qui marque son crâne d'os. Elle aurait pu abandonner face à cette porte close, mais le goût du sang sur sa langue et la colère face à cette proie qui ne veut pas se laisser manger la fait s'entêter.

Elle se jette sur le bois, serres en avant, dans un rugissement de rage. Par chance pour sa proie, le couloir ne permet pas à sa masse de faire céder la porte complètement. Alors, elle donne des coups de patte, lacère le bois jusqu'à le percer. Elle y va de sa gueule osseuse, agrandissant peu à peu l'ouverture. Une patte traverse, bats l'air dans une tentative pour se saisir de son repas.

Étrange.
Différent.
Patient.

Le regard abyssal de la bête rencontre celui de l'homme. Sa respiration profonde et bruyante soulève son énorme torse sur un rythme calme. Basse sur ses appuis, elle l'observe, immobile, son agressivité semblant avoir disparue.

A l'issue de longues secondes, la créature se met à bouger. Avec une lenteur qui trahit sa méfiance, elle se recule dans un bruit de serre rappant sur le sol. Un grondement caverneux - rassurant ? - passe ses crocs alors qu'elle s'immobilise à quelques pas de la salle de bain.

Seul son regard ne se décroche pas de l'homme.

Surprise.
Contrarié.
Patient.

La créature sursaute au bruit soudain du pied de biche contre la porte avec un grognement - jappement ? - menaçant. Pourtant, elle campe sur ses positions. Elle s'allonge de tout son long, ses yeux d'onyx vissés sur l'ouverture dans la porte.

Les secondes s'égrainent pour devenir des minutes, rythmées par la respiration grondante de la bête. Jusqu'à ce que son corps soit pris de spasmes. Elle griffe le sol, gémit de douleur alors que son corps revient peu à peu à une apparence humaine.

La transformation est bien plus rapide cette fois, laissant le forgeron à bout de souffle, les yeux écarquillés de stupeur avant de perdre connaissance. Son cœur ralentit, tout comme sa respiration, un lourd sommeil s'emparant de lui.

Nu comme un vers, le forgeron dort comme un bébé.

Qu'est-ce.. que… ?!

Réveillé en sursaut, le forgeron tousse et souffle l'eau qu'il vient de se prendre en pleine poire en se redressant. A peine ouvre-t-il les yeux qu'il les referme aussitôt avec un grognement, une main pour le protéger de la lumière.

L'un après l'autre, chacun de ses sens l'agresse et vient faire taper les battements affolés de son cœur contre son crâne. Le bois sous sa main alors qu'il se redresse. Les sons qui ne devraient pas lui parvenir de la rue. L'odeur ferreuse qui sature l'air. Les brûlures sur ses poignets et sur son nez alors qu'il ne sent plus les blessures de la nuit.

Obstiné, il bat des cils pour forcer sa vue trop nette à s'habituer à la luminosité pas si vive que ça. Il baisse le nez sur ses mains, les tourne et les retourne, l'air de ne pas croire ce qu'il voit. Déboussolé, il cherche les yeux noisettes entre deux clignements, seulement pour être cloué par son regard.

Aron… ?

Inquiet, il est aussi complètement paumé.

Et il le trouve. Horrifié. Blessé. Perdu.

Après quelques trop longues secondes de flottement, le forgeron s'empare des poignets de cet homme qu'il ne reconnaît pas. Sans réfléchir, il tente d'échanger leurs places d'une puissante impulsion. Trop puissante. Il roule plus loin qu'il ne l'avait prévu, lâchant l'humain de surprise avant de heurter le mur de plein fouet.

Aussitôt sur ses pieds, il se recule - à nouveau à poil - les mains en l'air dans une position défensive.

Mais qu'est-ce qui te prend ?!

Son regard tombe sur l'étoffe sanglante et il blêmit. La gorge serré, il cherche à son tour le regard de l'homme qu'il aime.

Qu'est-ce qui s'est passé… ?

La stupéfaction fige ses traits alors que les mots ont du mal à pénétrer son esprit. Une phrase après l'autre prenant un terrible sens qui lui retourne les tripes. Il secoue la tête, refusant de croire qu'il ait pu faire une chose pareille.

Non…

Une plainte. Un déni. Pendant de longues secondes, il doit batailler entre l'horreur d'une telle réalité et la conviction qu'il ne lui infligerait pas la culpabilité d'un tel acte.

Je… ?

Une larme. La voix étranglée. Le forgeron manque de s'effondrer, le poid d'une agression dont il ne se souvient pas faisant vaciller ses jambes. Il se rattrape au mur, retrouve son équilibre et le frappe de colère autant que de douleur. Retirant le poing qui s'est enfoncé dans le mur, il se tourne vers sa victime.

Non !

Le mot claque, sans appel. Quelques pas le ramènent vers l'abîmé auprès duquel il pose un genoux à terre. Il attrape son menton entre deux doigts avec toute la délicatesse dont il est capable - c'est à dire pas beaucoup - un regard borné planté dans ses yeux - fermés ou non.

Tu vas pas crever. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il s'est passé et là, maintenant, je m'en fout. On va commencer pour te faire prendre une douche, nettoyer la plaie et la soigner. On avisera après.

Sans attendre qu'il soit d'accord ou non, il se saisit de l'un de ses bras.

Opération translation vers la douche. Que l'autre le veuille ou non.

La porte de la douche se fend quand il l'ouvre un peu trop vivement et l'envoie contre le mur.

Y'a beaucoup trop de choses qui clochent…

Il grogne à moitié, autant contrarié par ce constat qu'il est satisfait de le voir se laisser faire. Malgré la chaleur que dégage son corps et l'odeur qui s'en échappe, il fait de son mieux pour faire bonne figure. Caché derrière un masque de sérieux, il dépose sa charge sur le sol de la douche avec toutes les précautions dont il est capable. Il décroche le pommeau de douche et récupère le pain de savon pour les déposer à côté d'eux, posant un genou près de lui.

Alors seulement, il vient défaire le vêtement autour de la plaie. Son masque se désintègre sous l'horreur qu'il découvre. Déglutissant difficilement, il doit articuler pour ne pas trop faire sonner sa voix comme une plainte.

C'est… moi qui ait fait ça ?

T'en as jamais pour longtemps quand tu chopes une saloperie et pourtant t'es toujours là. Y'a pas de raison pour que les crocs de tabouret fassent exception.

Le ton est bourru, bien qu'il tente à son tour un peu d'humour. Bancal, mais ça reste de l'humour. La main sur sa joue peine à le réconforter. Accablé par la culpabilité, il s'en saisit et la repose au sol, les yeux baissés de honte.

Doucement, il lève la jambe blessée et se penche pour examiner l'étendue des dégâts. Il est livide lorsqu'il se redresse et doit s'éclaircir la voix avant de parler.

On va commencer par mettre un linge propre pour éviter que tu perdes trop de sang. Je vais te laver avant de recoudre pour éviter l'infection. Va falloir te mettre à poil. Je… peux t'aider, si besoin.

Ses oreilles prennent une jolie couleur rosée et en bon courageux, il se casse le temps de récupérer des linges propres. Précautionneusement, se fiant à l'expression du blessé pour ne pas serrer trop fort, il en noue un autour de la plaie.

L'étape déshabillage va être marrante. Celle du lavage encore pire.

Il lui jette un regard en biais, hésitant entre le plaisir de ce mot sur ses lèvres et la vérité qui fait bien trop mal. Au lieu de prendre sa main, il se penche pour passer un bras autour de sa taille. Sans effort, il le soulève jusqu'à le relever suffisamment pour lui enlever ses fringues sans qu'il ait besoin de trop d'appui. Il l'aide au besoin, mais le laisse faire autant que possible.

Techniquement, on n'est pas encore fiancés. Je n'ai pas encore répondu.

Maintenant aussi nu que lui, il le repose au sol. Les lambeaux de vêtement sont jetés dans un coin. Dans leur état, ils finiront probablement au feu. Le forgeron commence à faire couler l'eau. Par miracle, les canalisations sont toujours opérationnelles et lui éviteront un nombre incalculable d'aller-retour au puits. Attendant qu'un peu de chaleur arrive, il continue.

Je ne peux pas te laisser m'épouser après ce qui s'est passé cette nuit sans savoir ce que j'ai fait. Après…. ça encore moins. Même si je crève toujours autant d'envie de dire oui.

Sa gorge se serre sous la torture de ses émotions, tandis que les larmes lui montent aux yeux. Tentant malgré tout de faire bonne figure, il commence à chasser la sueur et le sang de sa peau.

Je sais que c'est égoïste et j'en suis désolé.

Au point où j'en suis, c'est presque tentant…

Grognon - blessé ? - il n'ajoute rien de plus, mais parvient à retenir ses larmes. La douche se poursuit en silence, sous les gestes doux du forgeron armé de son pain de savon. Quelques maladresses se glissent ça et là, ponctuées de "pardon" un peu affolés. Il a l'impression de l'agresser. Jamais il n'aurait imaginé poser à nouveau ses mains sur lui dans un contexte pareil.

Une fois satisfait, il se redresse pour couper l'eau. Le silence est soudain assourdissant, accentuant un peu plus le malaise qui s'installe au creux de son estomac.

Tu… Tu vas devoir te mettre sur le ventre pour que je puisse te recoudre.

Il passe une main sur sa nuque, les oreilles écarlates et les joues maintenant tout autant colorées.

Tu seras peut-être mieux sur le lit... ?

Il ose à peine le regarder.
Après une première tentative, il n'ose plus du tout le regarder.

Il ne regarde pas.

Pas là en tout cas. L'air - foiré - de rien il se lève en récupérant tout le nécessaire à charcuterie. Il déploie tous les efforts possible pour ne pas laisser son regard vagabonder sur le corps de l'abîmé avant de lui tourner le dos.

Je vais préparer le lit.

Il attrape deux serviette au passage et les lui envoie sans viser au passage.

Sèche-toi un minimum et couvre-toi.

Il quitte la pièce et va préparer son lit. Après avoir dégagé les couvertures, il déploie plusieurs draps pour protéger le matelas et installe ce dont il a besoin. Tout du long, il marmonne dans sa barbe en remerciant Creatorem pour l'ouïe peu développée des humains.

Rapidement, il est de retour auprès du mordu. Il pose un genou à terre du côté de sa jambe valide, le regard vissé aux prunelles noisettes.

Si je te porte, j'imagine que tu vas râler ?

Il a un moment de flottement en voyant son colocataire dans cette position et surtout dans son lit. Malgré tout ce qu'il a vécu en si peu de temps, il ne peut pas s'empêcher de souhaiter que tout soit plus simple et qu'il soit là pour lui.

Le cœur serré, il défait le linge autour de sa plaie.

Probablement jusqu'à ce que je sois capable de te regarder en face sans avoir honte de mes actes.

Il attrape la serviette qui le couvre encore et la relève un peu, ignorant le bout de fesse qu'il révèle momentanément. Délicatement, il tâte les contours de la plaie pour en vérifier l'état. Se saisissant du matériel nécessaire, il commence à la nettoyer avant de recoudre.

Tu devrais te taire et serrer les dents.

La tête baissée, le forgeron serre les poings si fort qu'ils en blanchissent. Il serre les dents, l'air bloqué dans sa poitrine suffisamment longtemps pour que son souffle s'entende.

S'il n'y avait que ça, peut-être que je finirais par l'accepter, mais…

Ses épaules s'affaissent et il plonge le visage dans ses mains. Pas de larmes cette fois, seulement la confusion de ses émotions qui lui font perdre ses mots. La peur aussi, du rejet qu'il attend et qu'il mérite. Lorsqu'il parle à nouveau, sa voix est chargée de la colère qu'il ressent envers lui-même.

J'ai tué des gens, Aron. J'ai pris des vies. Qu'ils disent que c'était l'influence des Cavaliers ne change rien. J'ai le sang d'inconnus, probablement d'innocents sur les mains.

Il relève la tête, plante un regard torturé dans celui de l'homme qu'il aime.

Es-tu sûr de vouloir épouser un meurtrier, Aron ?

Les mots lui font l'effet d'une gifle. Hochant la tête, il carre un peu les épaules pour se redonner une contenance. L'aiguille en main, le fil prêt, il attend que le blessé morde dans sa serviette et se réinstalle dans la position la moins inconfortable pour lui.

En silence, il rassemble les chairs point par point. Il fait au plus vite sans bâcler le travail pour lui éviter trop de souffrance. Il lui en a assez infligé pour toute une vie. Le temps file, jusqu'au dernier nœud qui termine de remettre sa cuisse en état. Autant que possible.

C'est fini. Je m'occupe du bandage.

Il nettoie le sang qui a coulé et enroule des bandages propres autour de sa cuisse. Évaluant ses soins d'un œil critique, il soupire. Il n'est pas médecin, mais ça devrait tenir.

Les linges souillés sont jetés au sol, le matériel rassemblé. La fatigue lui tombe dessus lorsqu'il se lève et rabat les couvertures sur le rafistolé.

Je reviens.

D'un air las, il ramasse les étoffes et quitte la chambre. Il nettoie le matériel et débarrasse ses mains pleines du sang qui les macule, évitant le reflet pitoyable que lui renvoie le miroir. Il range le tout à sa place et retourne auprès de son éternel colocataire.

Il se glisse sous les couvertures à ses côtés et lui offre ses bras.

L'avoir dans ses bras, contre lui, met du baume sur son cœur meurtri. Un baume doux-amer et pourtant il ne peut s'empêcher d'en savourer chaque seconde. Les bras autour de ses épaules, il le sert contre lui en douceur, usant le moins possible de cette force qu'il ne connaît pas.

J'ai besoin de comprendre ce qui m'est arrivé. D'assumer avant de pouvoir demander ton pardon et être capable de l'accepter. Je ne peux pas t'infliger la honte de mes actes par mon égoïsme. Mais il y a quelque chose que je veux que tu saches.

Vingt-cinq ans qu'ils se connaissent. Autant de temps que ces mots sont vrais sans être prononcés à voix haute. Ce qui ne veut pas dire qu'il avouera les avoir dit à qui que ce soit d'autre.

Les doigts dans les mèches humides de la tête d'enclume, il vient déposer un baiser sur le haut de son crâne. Respirant les fragrances qu'il ressent bien plus fort avec ce nouvel odorat, il sourit dans un murmure.

Je t'aime, Aron. Depuis toujours. Toi et toi seul. N'en doute jamais.