Premier réflexe : grogner.

Le forgeron se redresse sur un coude dans son lit, la gueule enfarinée. Sa tignasse bouclée part un peu dans tous les sens, avec quelques mèches qui lui tombent carrément dans les yeux. Son regard ne tarde pas à se fixer sur l'intrus, qu'il regarde de haut en bas, les yeux plissés de sommeil. Comme par hasard, il se fixe sur le relief bien visible dans le caleçon de son colocataire intrusif.

Il tend le menton et se gratte la barbe, avant de parler d'une voix rauque de sommeil.

C'est mon anniversaire ?

Il se redresse tout à fait pour finir en position assise, le seul drap qui le couvre dévoilant sans aucun doute sa propre forme matinale. Il passe une main dans sa crinière pour tenter de la dompter, il regarde le forgeron, puis le tabouret, pour revenir sur le forgeron.

Il baille à s'en décrocher la mâchoire, déformant les premières syllabes.

Au delà du fait que je suis pas ravi que tu fasses un trou dans mon tabouret et que je vais être jaloux d'un meuble…

Il laisse la phrase en suspens, l'air un peu trop soucieux et un peu trop sérieux.

Tu devrais faire gaffe aux échardes.

Il a l'air d'hésiter un instant - ou de chercher une nouvelle connerie à sortir. Le forgeron se lève avec une lenteur calculée. Le drap glisse sur son corps pour le révéler complètement nu, son humeur matinale immanquable. Quelques pas et il se penche pour attraper le dit tabouret, avant de s'avancer jusqu'à son colocataire. Il s'approche autant que possible, jusqu'à ce qu'il n'y ai plus que l'objet entre eux.

Le regard azur s'ancre aux yeux noisettes, alors qu'une légère tension s'installe dans tous ses muscles. Un léger sourire orne ses lèvres tandis que sa voix se fait un ton plus bas, entre douceur et invitation.

Tu n'as pas besoin de demander, Aron.

Le tabouret - le meuble - est écarté du peu d'espace qu'il reste entre eux. Doucement, le forgeron pose sa main sur le bras de son colocataire. A peine un pas de plus les rapproche, obligeant le plus petit à lever la tête pour garder son regard dans le sien, l'azur de ses yeux presque disparu sous ses pupilles.

Le tabouret est toujours resté ici.

Une simple caresse du pouce sur le muscle de son vieil ami, comme il ne lui en a pas offert depuis longtemps.

Ça doit bien vouloir dire quelque chose, non ?

Le forgeron soupire, irrité par une discorde vieille de vingt ans. Pourtant, ni sa troisième patte, ni son regard ne témoigne d'une perte d'intérêt pour le sujet initial.

J'ai fait mon choix il y a longtemps et je t'ai choisis, toi. Je te l'ai déjà dit. Je te l'ai expliqué en long, en large et en travers. Je ne vais pas encore me répéter.

Oui, "je", parce que parler de lui-même à la troisième personne, ça va bien deux minutes. Cette fois, il ne cherche pas à garder de distance entre eux lorsqu'il approche ses lèvres de l'oreille de son colocataire. Leurs torses se touchent, leurs troisièmes pattes se frôlent, envoyant un frisson courir le long de sa colonne.

Je crois que c'est toi qui a le cul entre deux chaises. Tu crèves d'envie de me retourner et de me prendre autant que j'ai envie que tu le fasses. Depuis longtemps. Cette histoire de mariage n'est qu'une excuse pour je ne sais quelle foutue raison.

Il est toujours sur ses pieds quand son colocataire revient, mais il a enfin lâché le tabouret. Il attrape la boîte au vol et lève un sourcil au tintement métallique qui en sort. Il a un regard interrogatif, vaguement inquiet face à la colère de son ancien amant et ouvre la boîte.

Il s'attendait à peu près à tout, sauf à ça.

Le choc de la découverte se lit sur son visage stupéfait, avant qu'une vague de douleur ne vienne le remplacer. Il flanche, ses jambes soudain incaable de le soutenir. Ce n'est que par miracle qu'il finit assis sur son lit.

Incapable de décrocher son regard de la bague, il reste sans voix un long moment pour finalement parler dans un souffle.

Tu n'as jamais rien dit…

Le coude posé sur un genoux, il appuie son front dans sa main avant de la passer sur ses yeux. Si sa voix a retrouvé un semblant de volume, elle est maintenant étranglée par les larmes qu'il s'efforce de retenir.

J'aurais dû savoir… J'aurais dû comprendre… Quel con putain !

Il ne saurait dire combien de temps il reste là, assis sur son lit, à regarder ce petit objet qui change tout. Il n'a pas tout à fait réussit à retenir ses larmes et quelques traitresses ont perlées au coin de ses yeux, vite essuyées pour tenter de faire pas trop mauvaise figure.

Il finit par se lever et enfiler un caleçon avant d'aller à la suite de son… C'est encore plus compliqué qu'avant, bordel. Les escaliers semblent haut, ce matin, avec des jambes en coton qui se remettent à peine du choc. Aron est là, affairé sur son semblant de café et lui ne sait plus où se mettre. Finalement, il se pose sur le canapé, la petite boite précieusement maintenue dans ses grandes mains calleuses.

Il ne dit rien. Il ne sait pas quoi dire. Les yeux brillants, il attend que le café soit prêt, ou que Aron relance la conversation qui va devoir avoir lieu.

Il fait une grimace désapprobatrice, avant de secouer la tête avec une ombre de sourire dissimulée dans sa barbe, tout de même un peu amusé par la formulation. Il ose enfin rencontrer son regard quand il lui répond.

Ce n'est pas vraiment les mots que j'aurais utilisé, mais oui. Depuis longtemps… depuis toujours, en fait, et ça ne risque pas de changer. Je peux pas dire que c'est ce que je préfère. J'ai pas vraiment de préférences, mais j'aurais aimé...

Il hausse les épaules et détourne le regard qui se retrouve vite happé par le cercle de métal dans sa boite.

Pourquoi cette question maintenant ?

Il lève la tête dès l'évocation de l'improvisation, surpris, outré, presque insulté, un peu tenté. La vérité, elle, fait prendre des couleurs à peine visible à ses joues mangées par la barbe.

Ta boîte.

Il prend enfin la bague entre ses gros doigts et dépose la boîte en question sur la table basse. Il s'adosse au vieux canapé, les bras croisés. L'anneau de métal roule entre ses doigts, alors que le forgeron ne lâche plus l'autre des yeux.

Oublier les discussions gênantes, c'est ce qui nous a fait arriver là où on en est, Aron. Les pourquois qui n'ont jamais eu de réponse. Les explications jamais écoutées. Dans un sens comme dans l'autre.

Il prend une grande inspiration et ajoute un dernier détail.

Toutes les choses que je n'ai jamais partagé sur ce foutu mariage parce qu'il t'as foutu en rogne avant même qu'il ait lieu et que je ne voulais jamais te revoir dans un tel état.

Il serre les dents. Lui pourtant d'un naturel si calme semble prêt à le perdre.

Et tu veux que j'oublie ?

Il brandit l'anneau, le regard brillant où la peine se dispute à la colère.

Et ça ? Je suis censé oublier ça, aussi ?

Les prémices de sa colère retombent aussi vite qu'ils sont apparus. Une lueur d'espoir semble renaître dans le regard azur qui se pose à nouveau sur l'anneau. Après un long silence plongé dans sa contemplation, un sourire se dessine dans la barbe du forgeron. Chargé d'une fraction de l'affection qu'il ne montre jamais. De tristesse, aussi.

Je ne mérite pas de le porter.

L'anneau disparaît dans le poing du forgeron, qui vient ensuite se poser contre ses lèvres.

J'ai essayé, tu sais. J'ai essayé d'annuler le mariage après avoir fini ma formation. Kat m'en a toujours dissuadé. Elle pense que sa famille me rejetterais en bloc. Je n'aurais plus le droit d'utiliser ma technique d'Incrustation. Je pourrais nous faire perdre une grosse partie de notre clientèle de Chasseur. La tienne y compris.

Lentement, il lève les yeux vers son colocataire. Comme à chaque fois qu'il s'apprête à dire quelque chose qu'il n'a pas forcément envie de laisser sortir, il prend une grande inspiration. Sauf que cette fois, elle se bloque avant de finir en soupir, quelque peu résigné. En bon courageux, il détourne le regard avant de parler.

Elle me le répète tous les ans. Minimum.

Nom de dieu.

Même la gravité a décidé de ne pas l'aider. Encore, si la pièce avait été assez grande pour qu'il soit loin... Mais non. Il n'est pas à trois mètres et le forgeron assiste au spectacle de ce corps qu'il rêve de retrouver depuis des années. Il y a droit tous les matins, mais celui-ci est différent.

Il n'en manque pas une miette. Son regard court sur la peau de son colocataire comme s'il la découvrait pour la première fois et son caleçon ne tarde pas à gonfler. Tentant de faire bonne figure, il lâche un "ok" d'une voix qui trahit son état. Sans attendre, il se lève et s'avance vers l'escalier.

Je reviens.

Il monte les marches quatre à quatre dans l'espoir que l'autre ne voit rien et file dans sa chambre. Il fouille rapidement une vieille malle poussiéreuse renfermant le peu de biens qu'il a hérité de ses parents et en ressort une chaîne, délicate mais solide. De retour en haut de l'escalier, il respire profondément et attend que sa troisième patte à nouveau au garde à vous veuille bien retourner au repos. A moitié victorieux, il rejoint son colocataire en accrochant la chaîne autour de son cou après y avoir passé l'anneau.

L'air de rien, il ouvre un placard pour en sortir des tasses en verre. Nonchalamment - autant que possible - il se pose dos au plan de travail, appuyé contre celui-ci et croise les bras. Patient en apparence, il se sait trop près.

Le forgeron lance un regard en biais à l'autre. D'abord réprobateur, il finit par laisser échapper un rire court. Il a même un vrai sourire qui fait pétiller ses yeux azur, le premier depuis que cette histoire de mariage est revenue sur le tapis.

T'es con.

S'il veut jouer, lui aussi peut le faire. Sans avertissement, il réduit le peu de distance entre eux et tend une main vers son visage. Ses doigts glissent sur sa joue en une douce caresse jusqu'à sa nuque et l'obligent à se pencher à sa hauteur, leurs nez si proches qu'il peut sentir son souffle sur ses lèvres.

Je vais finir par croire que tu as envie que je te prennes, discussion gênante ou pas. Auquel cas je serais ravi de te soulager. Mais tu n'échapperas pas à cette discussion, Aron.

Tendu comme un arc, la troisième patte prête à servir, il est beaucoup trop tenté de lui voler un baiser.

Vingt putain d'années qu'il en rêve.

Il lutte à peine une seconde avant de le laisser se redresser. Une toute petite seconde, suffisante pour qu'il se retrouve contre lui, une main sur sa hanche en plus de celle qu'il a gardé sur sa nuque. C'est la deuxième fois en trop peu de temps, après toutes ces années.

Il ne veut pas le lâcher. Ce n'est vraiment pas une bonne idée d'y rester accroché comme une moule à son rocher.

Alors qu'il pose son front sur l'épaule de son colocataire, il pousse un long soupir, son souffle chaud contre la peau hâlée. Les doigts dans les mèches poivre et sel, il caresse doucement la base de ses cheveux. Il parle bas, tout contre lui.

Si tu ne veux vraiment pas en parler, qu'est-ce que je suis censé penser, Aron ?

Dans un soucis de retour de bâton discret, le forgeron vient enfouir son nez dans le cou de son . Comme ça, il ne peut plus poser son menton sur le haut du crâne du nain. La main sur sa hanche glisse dans son dos, dans un geste miroir au sien et lui rend ses caresses.

Un silence s'installe, durant lequel le forgeron profite honteusement de la situation. Pour respirer son odeur. Pour écouter les battements de son cœur. Pour savourer la sensation de sa peau sous ses doigts. Pour se régaler de la sensation de bien-être simple dans ses bras.

C'est avec un soupir, puis un sourire qu'il reprend.

Je vais t'épargner un nouveau pourquoi.

Le forgeron rend les armes. Presque.

Dis moi juste une chose, Aron. Qu'est-ce que je dois voir dans cet anneau ? Ce que j'ai perdu il y a vingt ans, ou un espoir de ce que je pourrais réparer maintenant ?

Ça ne répond pas vraiment à la question.

Malgré l'envie qui le tenaille de le lui faire remarquer, il s'en abstient et le relâche à son tour, après une ultime caresse le long de sa nuque. Sans un mot, il lui lance un regard incertain avec un hochement de tête un peu trop sec et repart vers les escaliers. Ce n'est qu'arrivé au bas des marches qu'il semble avoir suffisamment réaligné ses neurones pour enchainer quelques mots.

Je vais m'habiller.

Potentiellement après une douche pour s'occuper de sa troisième patte.

Tu peux dire à Saga de remonter prendre son café.

Il peut être très con, mais il n'est pas sourd.

La main à plat contre la vitre de la douche, il fait face à la porte de la salle de bain. Penché en avant, les yeux fermés, son torse se soulève au rythme de sa respiration profonde. Tout au plaisir qu'il s'offre en solitaire, il ne s'arrête pas au grondement qu'il entend parfaitement. Même après toutes ses années, il le reconnaîtrait entre mille.

Lentement, il se redresse pour s'adosser à la paroi froide, exposant son corps complètement nu à la vue de l'intrus. Ses mouvements de poignet se précisent, jouant avec ses points les plus sensibles. Sa tête part en arrière dans un gémissement bas et il accélère un rien. Alors seulement, il ouvre les yeux.

Il caresse le corps parfait de son regard où l'azur est réduit à un cercle fin par le désir. Ses muscles se tendent, sa respiration se fait plus lourde, mais il ne s'arrête pas - c'est tellement mieux de le voir plutôt que de l'imaginer - et ne dis rien. Il se contente d'un sourcil subtilement levé, interrogatif. A moins qu'il ne soit provocant ?

Il ne semble pas dérangé outre mesure par la soudaine proximité de son envahissant colocataire et s'il est surpris, il ne le montre pas. Il tourne la tête vers lui, frôlant sa joue du bout des lèvres - et de la barbe. Il ne cesse pas pour autant son occupation première, soupirant contre sa peau.

C'est toi qui ne voulais pas discuter.

Sa voix est basse, réchauffée par cette initiative inattendue. Sa main libre s'empare de la hanche de l'autre et le tire à lui, plaquant tout à fait son bassin contre le sien pour lui faire profiter par procuration des va-et-vient de sa main.

Si tu as changé d'avis, je ne suis pas sûr que la situation s'y prête tout à fait...

Il tend la gorge et prend le lobe de son oreille entre ses lèvres pour le flatter de sa langue. Quand il le relâche, il a droit à un soupire de plaisir au creux de l'oreille, avant un murmure lourd de sous-entendus.

Mais je suis ouvert à toute initiative.

Ah. Dans ce sens là.

Il laisse sa tête tomber en arrière contre la paroi de la douche et ferme les yeux dans un soupir court. Difficile de voir qu'il serre les dents sous sa barbe fournie, mais le froncement de sourcils trahit un combat intérieur acharné. Ecouter sa raison relève du défis quand l'instant dont il rêve depuis vingt ans est à portée de main. D'anciennes sensations se mêlent à de nouvelles que tout son corps lui hurle d'apprendre jusqu'à les connaître par cœur.

S'il était moins con.

La main accrochée à sa hanche la relâche et tombe à son côté, tandis que la seconde ne cherche pas à se défaire de sa poigne. Son regard retrouve celui de son colocataire, dur, à l'instar de sa voix à peine adoucie par le désir contre lequel il lutte.

Il n'est pas question que j'obtienne le droit de te prendre en échange de quoi que ce soit. Encore moins en récompense pour avoir cédé à ton entêtement.

S'il n'y avait pas eu cette putain de jambe entre les siennes en plus du contact omniprésent de son corps, il n'aurait surement rien ajouté.

Mais ta proposition n'incluait pas l'autre… disposition.

Sa voix est moins assurée, teintée d'une note espoir sous le désir brûlant qui le ronge.

Sa volonté s'effrite à chaque seconde où leur proximité se prolonge. Coincé entre le mur et ce corps massif, il cède un peu plus à ce mouvement de hanche honteusement tentateur. Sa main reprend place sur sa peau, le long de sa hanche jusqu'à atteindre le creux de ses reins où il appuie pour l'empêcher de s'échapper.

J'en ai eu envie à la seconde où j'ai compris que je t'avais perdu. J'aurais dû…

Il s'interrompt dans un souffle chargé de frustration et de regret. Pour toutes ces engueulades insensées à ces yeux aveugles, toutes les fois où il s'est laissé convaincre par sa femme et toutes ses tentatives avortées de se rapprocher de lui.

Il serre les dents et déglutit difficilement, la gorge serrée par le désir qui devient de plus en plus insupportable.

Si tu ne vois pas d'objection à ce que je vous abandonne pour la matinée, je ne vais pas attendre plus longtemps.

Sa main toujours prisonnière tente de se libérer tandis qu'il tourne la tête vers lui, chuchotant quelques mots contre sa barbe légère.

Je ne veux plus attendre.

Ses lèvres se posent sur sa joue en un simple baiser. Le premier depuis vingt ans.

Son torse se soulève pour mieux s'affaisser dans un souffle tremblant. Vingt années qu'il avait besoin d'entendre ça. Vingt ans qu'il se demande si une telle décision ne pourrait pas tout gâcher entre eux. Autant de temps où il n'a jamais été capable de lui poser la question.

Merci, Aron.

Un sourire vient illuminer son visage alors qu'il lui rend son étreinte, ses bras musculeux entourant ses larges épaules tandis qu'une main plonge à nouveau dans les mèches poivre et sel.

Il n'y a pas de regret à avoir. Mes techniques ne sont rien, comparé à toi.

Délicatement, il frotte sa joue contre la sienne, savourant le contact avec un plaisir évident.

Aucun sacrifice n'est trop grand s'il me permet de te retrouver.